Orchestre Philharmonique de Lorraine*
La Lettre d'orchestre
A peine âgé de trente ans, Pierre Thilloy est un compositeur prolixe, avec déjà plus de 90 opus à son actif, ces œuvres traversent les frontières. D'origine lorraine, Pierre Thilloy est diplômé de la classe de composition d'Alexander Mullenbach du conservatoire du Luxembourg et de l'Académie Internationale de Salzbourg. Finaliste et lauréat de nombreux concours internationaux, Pierre Thilloy poursuit sa collaboration avec la Philharmonie de Lorraine qui créera le 5 mai prochain la dernière œuvre symphonique du compositeur : " Macbeth Ouverture " opus 88, poème symphonique n°7 pour grand orchestre.
La veille à l'Arsenal, se verra concrétisé un travail pédagogique d'une année, qui mettra en scène trois classes de primaire de Montigny et de Metz, cinq musiciens de l'orchestre et un musicien intervenant. Ces 80 protagonistes, sous la houlette de Pierre Thilloy, feront découvrir au public leur création, fruit d'un travail commun : " Trois évocations d'après Macbeth Ouverture " opus 88 n°2, variations directement inspirées par la pièce pour orchestre de Pierre Thilloy.
 

Entretien avec Pierre Thilloy

L.O. : Pourquoi avoir choisi le thème de Macbeth pour votre poème symphonique ? Que représente pour vous cette œuvre de Shakespeare ?

P.Th. : Shakespeare est incontestablement l'un des auteurs les plus fascinants de l'histoire de la littérature. La thématique qu'il met en exergue est universelle. La lecture d'une œuvre de cet auteur est invariablement la source d'une multitude d'ambiances sonores et visuelles que la musique peut facilement mettre en relief. Je ne suis ni le premier ni le dernier à être envoûté par le verbe de Shakespeare. Et plus précisément en ce qui concerne Macbeth où j'ai de prestigieux prédécesseurs tels que Giuseppe Verdi, Richard Strauss ou Dimitri Shostakovitch...
Macbeth est pour moi la synthèse d'un grand nombre de mythes, mais c'est aussi la puissance du destin, la malédiction du sang, la juxtaposition du réel et du fantastique...
En intitulant mon œuvre Macbeth Ouverture, je me ménage aussi la possibilité de rajouter un pendant conséquent à ce poème symphonique et de le transformer... en opéra par exemple...

L.O. : Quels liens faites-vous entre votre pièce et les œuvres de Mendelssohn et de Prokofiev inscrites au programme ?

P.Th. : Le lien qui s'affirme d'autorité est la fascination qu'exerce Shakespeare sur les compositeurs. Musicalement, je pense qu'une oreille attentive découvrira très certainement une forme de "phase" mystique, une espèce de sentiment ravageur qui soutend l'œuvre de Shakespeare et qui vous emporte dans un tourbillon qui vous dépasse dès que vous mettez une note de musique sur son texte.
Bref, je pense qu'il faut avoir précieusement conserver un certain nombre d'illusion pour écrire sur cet auteur...
Une forme de romantisme avant, pendant et après l'heure...

L.O. : Appartenez-vous à un courant de composition ? Quels ont été ou quels sont vos compositeurs de référence ?

P.Th. : C'est une question que l'on pose souvent... Le philosophe Steiner disait lors d'une récente conférence qu'il y avait trois mystères dans l'humanité : les mathématiques pures, la métaphysique et la composition musicale.
Vouloir mettre un courant dans le mystère me parait être du ressort du miracle. Il serait plus juste de parler d'une filiation...
Le compositeur est, par essence, une personne qui crée et qui de là, s'affirme comme un individu unique. Il est donc voué à une certaine forme d'égoïsme qui l'oblige à refuser toute forme d'étiquette. Il n'est pas possible de trouver deux compositeurs qui écrivent de la même manière, ou alors c'est de l'écriture de style.
Cette notion musicale de courant, de groupe de "recherche de pensée", tout cela est une invention du XXème siècle. Et je remarque avec une certaine joie que nous sommes au XXIème siècle, et qu'avec lui, un très grand nombre de dictats est en train de retourner à sa poussière originelle. Il faut prendre garde aux fascinations qu'exercent nos ancêtres ou nos contemporains. J'aime la musique de Ligeti, de Corigliano, de Kernis ou de Dutilleux... mais ce n'est pas une raison pour écrire leur musique. Ils l'ont déjà fait et le mieux du monde puisqu'il s'agit de leur musique. Nous avons tous nos petites recettes et nos spécialités du chef...
En fait, je recherche surtout une certaine sincérité entre ma musique et moi-même. Il m'est arrivé d'écrire certains opus qui sont plus dignes de la galerie de peintures que de la salle de concert.
Je ne les renie pas... mais je les encadre.
Dans ma musique, j'essaye le plus possible de rester accessible tout en étant fidèle à ce que je suis. C'est là un des enseignements fondamentaux que j'ai reçu d'Alexander Mullenbach, mon professeur. Je crois qu'outre la science de la composition qu'il délivre à ses élèves, il est surtout grand par son souci de nous révéler à nous-même, de nous guider sur notre voix.
J'ai aussi fait mien un enseignement de G. Ligeti qui dit qu'un bon compositeur doit vampiriser les éléments qui lui paraissent bons chez les autres et les restituer sous l'effet d'un filtre que serait notre ego... En général, le résultat est surprenant et il y a rarement un rapport entre l'inspirant et l'inspiré.

Quant à mes compositeurs de références, il n'y en a donc pas... ou alors tous...

Mais je conseillerais d'écouter, au risque d'en oublier un nombre infini et au delà des Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Berlioz, Strauss (R), Mahler, Ravel, Britten, Bartok, Stravinsky, Varèse, Messiaen ou Shostakovitch qui sont d'illustres classiques - hélas et heureusement tous morts - des compositeurs impressionnants tels que Ligeti, Penderecki, Lutoslawsky, Corigliano, Florentz, Goldenthal, Kernis, Feeney, Ince, Torke, Daugherty, Knaifel, Corghi, Salonen ou Macmillian...

L.O. : Vous dites vous inspirer du nombre d'or et des principes fractales, des formes musicales qui relèvent de l'architecture des temples et des cathédrales. Quelles sont les principes de composition qui régissent votre prochaine création ?

P.Th. : Le chapitre concernant les principes de composition que j'utilise est celui d'une vie... C'est en quelque sorte mon mystère, mon principe alchimique...
Chacun de mes opus est une étape transitoire vers l'œuvre absolue que l'on quête, le CHEF D'OEUVRE, pour reprendre le terme des bâtisseurs de cathédrales... A chaque nouvelle œuvre correspond une démarche, une question...
Et parfois, une réponse.
Simplement, je me sers régulièrement de l'architecture des lieux sacrés, de formules émanant du nombre d'or ou de principes fractales ainsi que des livres sacrés... Cela dans le but avoué de réaliser mon "chef d'oeuvre".
Mais la représentation musicale de ces principes n'est rien sans une aspiration philosophique, sans une volonté de rester dans son art et non de se diriger vers le concept. Il est certes intéressant de suggérer, mais il faut aussi affirmer. Sinon, l'acte d'écriture devient désuet et n'a plus de sens.
Si l'on sépare l'ORDRE ( technique de composition, système formel, macro et micro structure, recherche de texture, etc... ) de la VISION ( la vie, la mort, l'être, le sentiment... ), il me semble alors que l'on ne parle plus de musique...
D'un point de vue purement technique, j'ai utilisé, pour Macbeth Ouverture, un "carré magique" de 12 par 12. Ce carré magique est généré par mon échelle mélodique utilisant les 12 sons de la gamme chromatique ( on peut donc dire qu'il s'agit d'une échelle dodécaphonique! ) ainsi que par une structure métrique. Il en résulte, par la volonté d'écriture et non par le hasard mathématique, une forme globale en arche. Je dois dire en fait que j'adore cette forme qui donne une stabilité et une cohérence à l'œuvre assez appréciable. Bartok l'a prouvé il y a déjà fort longtemps !
L'échelle mélodique engendrera toute l'œuvre, aussi bien dans son harmonie que dans la mélodie. Les principes de cristallisation, d'harmonie positive et négative et du miroir seront eux aussi largement exploités.
Le carré magique donne aussi les trois dimensions musicales "géométriques" de l'œuvre, à savoir l'harmonie ( la verticalité ), le contrepoint ( l'horizontalité ) et la forme ( structure ou tracé/plan au sol ), augmenté de sa "4ème" dimension rendue virtuelle, le temps.
J'utilise aussi la technique maintenant classique du continuum pour la conclusion de l'œuvre. Le tout étant encadré par une des grandes formes issues de la tradition romantique et post-romantique, le poème symphonique.

L.O. : C'est la seconde année que vous collaborez au programme éducatif de la Philharmonie de Lorraine. Après La Cité Onirique créée en juin 2000 avec 90 enfants de Metz et des musiciens de l'orchestre, parlez nous du projet de cette saison, Trois Evocations d'après Macbeth Ouverture ?

P.Th. : Le projet de cette année est trés différent de celui de l'an passé de par son cahier des charges que j'ai essayé au mieux de respecter, ce qui, pour un compositeur, n'est pas une mince affaire. Sa complexité s'est révélée au fur et à mesure de l'élaboration du travail. Je pense avoir acquis une certaine "maîtrise" dans ce type de projet, ce qui me permet de réagir assez vite face aux petits problèmes rencontrés. L'avantage d'être le compositeur dans ce processus de création, c'est que je sais dès le départ à quoi va ressembler la fin. Je peux donc travailler en conséquence et changer de cap si cela est nécessaire.

L.O. : Comment avez-vous envisagé votre travail de création en collaboration avec d'une part des enfants non instrumentistes et des musiciens professionnels de la Philharmonie de Lorraine ?

P.Th. : Il faut jongler! Ce n'est déjà pas au départ évident, car la fréquence de travail des musiciens et des enfants sur ce projet "interactif" n'est pas la même. Les enfants travaillant le plus souvent sous la direction d'un musicien intervenant et de leur enseignant, il s'agit d'être le plus efficace possible, bien que cela n'empêche pas une certain flottement inévitable lors des rencontres.
Mais en fait, sur un projet comme celui-ci, le véritable travail est de gommer la différence entre tous les acteurs... Mon travail consiste donc dans une alchimie des extrêmes et de faire croire à tous que les enfants sont de véritables petits professionnels...

L.O. : Comment avez-vous jugez les propositions compositionnelles des enfants ? Comment les avez-vous intégrées à l'écriture de cette pièce ?

P.Th. : Juger n'est pas le mot qui convient. Nous sommes partis d'une proposition que j'avais faite sur trois éléments littéraires, à savoir les trois sorcières, l'orage et la forêt de guerriers. Les enfants m'ont proposé un certain nombre d'éléments "sonores" illustrant ces principes.
J'ai été trés impressionné par ce qu'ils me proposèrent comme matière, et notamment par le travail sur la voix. C'était fascinant.
J'ai donc cherché à respecter le plus possible leurs trouvailles ( je crois même que j'ai pratiquement tout conservé) et j'ai écrit une œuvre, qui partant des mêmes principes mélodiques et harmoniques que mon Opus 88, s'adapte à cette formation et au travail des enfants.
Cela donne donc les 3 Evocations selon Macbeth Ouverture, opus 88 n°2.